Un ancien étudiant grenoblois à la tête d’une ONG libanaise : «Inhumain de vivre 55 ans dans un état d’urgence»

Share

En 1979, le D’ Kamel Mohanna fondait au Liban l’ONG Amel international. Alors que le pays est toujours en crise, l’ONG compte 50 centres d’aide et 1800 travailleurs. L’antenne d’Amel France se trouve à Grenoble et elle a dernièrement accueilli le pédiatre libanais, qui a étudié dans la capitale des Alpes. Rencontre.

«Pensée positive et optimisme permanent». C’est l’un des credo d’Amel international, une organisation non-gouvernementale (ONG) libanaise. Son président et fondateur, Kamel. Mohanna incarne cette philosophie, comme tous ceux qui font vivre cette structure présente depuis 1979 pour répondre aux crises successives qui frappent le Líban. Comme une lueur d’espoir au cœur de la guerre, des blessés, des populations déplacées…

Mettre l’humain au centre

L’antenne française d’Amel se trouve à Grenoble et œuvre à travers l’association Humacoop -Amel France, présidée par le D’ Guy Caussé. Il y a quelques jours, le D’ Mohanna est venu en visite et pour donner une conférence sur le Moyen- Orient, dans cette ville qu’il connait bien et où il est arrivé presque par hasard pour faire ses études de médecine.-Sur le bateau qui m’amenait vers la France, avec un ami, on a inscrit trois villes sur un papier : Grenoble, Amiens et Nantes et on a tiré au sort. C’est le premier nom qui est sorti, se souvient-il. Tout comme il se rappelle encore des petits matins gelés sur le campus de Saint-Martin- d’Hères, lorsqu’il enfourchait son vélo.

Après des études du côté de Tours et un retour à Grenoble, Kamel Mohanna est devenu pédiatre et s’est engagé dans des associations d’étudiants libanais.

De retour chez lui, il a ouvert son cabinet de pédiatre et s’est vite retrouvé à soigner les blessés, touchés par les conflits armés. En 1979, en réponse à l’invasion du sud Liban par l’armée israélienne un an plus tôt, il fonde avec un groupe de docteurs, de journalistes et d’activistes, Amel, une ONG non confessionnelle.

Le vrai départ d’Amel était en 1982, après la 2emme invasion israélienne. Rapidement, nous sommes devenus la plus grande organisation pendant la guerre avec 29 centres, 30 ambulances et 3 hôpitaux de campagne. Médecins sans frontières et Médecins du monde sont venus au Liban à travers Amel. On a fait évacuer 1200 blessés vers des hôpitaux américains avec ADC (American Arab anti-discrimination committee), 550 ont été en- voyés en France avec Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères et on a fait monter 400 prothèses avec le gouvernement hollandais».

Depuis 55 ans, le pays continue de vivre entre l’urgence, les crises économiques et une divi- sion politique profonde. Amel international a donc poursuivi son travail et compte aujourd’hui 50 centres, 1 800 travailleurs dont 85 % sont des femmes, 500 volontaires et 24 cliniques mobiles.

“On apporte un service sous la culture de la solidarité et non pas de la charité, et on applique les droits humains: le droit à la parole, à la justice, à l’éducation, à l’environnement. “ Le Dr Kammel Mohanna

« Nous sommes indépendants et acceptés par tout le monde. Parce que notre vision, c’est de mettre l’humain au centre, souligne le D’ Mohanna. Nous luttons pour la dignité humaine et la liberté». La feuille de route de l’ONG, c’est donc l’humanitaire. Il y bien sûr l’urgence. Mais aussi le service, le développement, la vocation… On apporte un service sous la culture de la solidarité et non pas de la charité. Et on applique les droits humains: le droit à la parole, à la justice, à l’éducation, à l’environnement…. Le président de l’ONG insiste aussi sur les 3P qui guident l’action à Amel: principe, position, pratique. Nous pensons, nous disons et nous agissons, on est dans le concret.

Comme ces derniers mois, où les organisations de la société civile se sont mobilisées dans l’urgence: « En septembre dernier, 1,2 million de personnes ont été déplacées en deux jours pendant le conflit. C’est un quart de la population. 60 à 70% de notre staff a été déplacé du sud et de la Bekaa vers Beyrouth. Le lendemain, ces infirmiers, ces professeurs etc. étaient dans les centres d’hébergement collectifs et les structures pour aider des personnes déplacées. L’humilité des déplacés, c’est nouveau. On a appelé ça la cohésion sociale, c’est une lueur d’espoir ». Un espoir qui en appelle d’autres, « pour une meilleure répartition des richesses, pour un état de justice sociale, pour la lutte contre le réchauffement climatique…  » pour lesquels le Dr Mohanna plaide.

En tant que médecin, c’est inhumain de vivre 55 ans dans un état d’urgence. Et ce n’est pas fini, conclut-il. Chez nous, on a une boutade: quel est le summum de l’optimisme? Qu’un Libanais vous dise à demain!», sourit-il. « C’est pour ça qu’on est très fort, on s’attend au pire».

Source: Marina Blanc, Le Dauphiné Libéré, 23 mars 2025

Amel.org
Amel.orghttps://amel.org/
Amel Association International is a social movement for reform, human dignity, access to fundamental human rights, and social justice. Established in 1979 and recognized as a public utility by presidential decree 5832 in 1994, this Lebanese non-sectarian NGO is present in 10 countries.

Read more

Local News